À compter de la seconde moitié des années soixante, et ce jusqu’en 1998, les expositions de Daudelin feront place principalement à la sculpture. C’est également à la même époque que l’artiste commencera à intégrer à ses expositions des maquettes de projets d’art public. C’est ainsi que, dès 1965, les visiteurs pourront voir, entre autres, à la galerie XII du Musée des beaux-arts de Montréal, une maquette d’un projet préliminaire pour la fontaine de l’édifice du gouvernement provincial de l’Île-du-Prince-Édouard à Charlottetown. Rappelons que, l’année précédente, la galerie Nova et Vetera du collège Saint-Laurent exposait des gouaches et des sculptures (mai 1964).
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Charles Daudelin et l’architecte Jean-Louis Lalonde devant Multi X, une sculpture de 1975, exposée probablement au Musée d’art contemporain en 1976-1977
Photographe inconnu
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Les années1969 et 1970 seront marquées par Naissance d’une sculpture, une exposition itinérante didactique qui relate l’aventure de la naissance de la sculpture monumentale du Centre national des Arts à Ottawa. Elle fut montée par le Centre culturel de Pointe-Claire et présentée dans sa salle d’exposition (Stewart Hall, automne 1969) et au Musée d’art contemporain en 1970, avant de sillonner les routes du Québec au cours des deux années suivantes.
Avant l’importante rétrospective organisée par le Musée d’art contemporain — présentée en premier à Montréal puis au Musée du Québec en 1974 —, le public aura eu l’occasion de voir les multiples de Charles Daudelin à la galerie Godard en 1970 et, l’année suivante, à la gallery Pascal à Toronto, puis, en 1973, à la galerie III de Montréal. Toujours par souci d’accessibilité, le sculpteur a décidé de créer des séries de sculptures de petit format permettant ainsi à des acheteurs moins fortunés d’acquérir une « œuvre d’art ». Après l'effet monumental et la place publique, voici l’œuvre en miniature et devenue accessible. Deux approches différentes du travail et de la conception, mais un même but : le désir de s’adresser à un large public et non seulement à une élite.
« J’aime l’idée d’ajouter, par mon œuvre, à l’harmonie d’un endroit. Et j’aime aussi penser que chaque jour, des milliers de personnes passent devant une de mes sculptures, peut-être sans la voir, mais non sans la sentir*. »
Après la rétrospective de 1974, Daudelin attendra un près de 25 ans avant qu’une autre institution muséale d’importance ne lui consacre une exposition d’une telle envergure. En effet du 15 octobre 1997 au 15 février 1998, le Musée du Québec offre aux visiteurs un parcours très complet couvrant les 45 années de travail de l’artiste vues sous l’angle de pas moins de 190 toiles, sculptures, marionnettes, maquettes ou dessins. L’exposition remportant un grand succès, le Musée en prolongera la durée de quelques semaines.
Cependant, entre ces deux événements majeurs, Daudelin aura été présent en 1983 au Musée d’art de Saint-Laurent pour Charles Daudelin : la genèse d’une œuvre, une exposition qui, comme son nom le suggère, retrace (en dessins, en photos et en maquettes) l’évolution du projet du retable de la chapelle Notre-Dame du Sacré-Cœur. Une démarche un peu similaire à ce qui s’était fait en 1969 autour de la sculpture du Centre national des Arts, ce qui illustre encore une fois que l’artiste a le désir et le souci de se rapprocher des autres en rendant son cheminement transparent. De telles expériences permettent à l’amateur ou au simple spectateur de se familiariser à la fois avec la pensée de l’artiste et avec sa réalité concrète. Une œuvre comme le retable ne naît pas de rien, un beau jour, de l’imaginaire d’un sculpteur. D’une part, elle est le fruit d’une réflexion, d’une démarche parfois longue parsemée d’essais et d’erreurs qui s’appuient sur l’expérience et la connaissance du monde de la forme et de l’espace et, d’autre part, elle découle de la réalité très pragmatique, de la matière et des matériaux.
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Charles Daudelin et Bernard Landry, alors ministre dans le gouvernement du Parti québécois, à Paris en 1984 pour l’inauguration d’Embâcle, place du Québec
Photographe inconnu
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L’année suivante, soit en 1984, Paris accueille Embâcle, cette sculpture-fontaine qui vient faire exploser le sol parisien en plein cœur de Saint-Germain-des-Prés sur la place du Québec. Une occasion rêvée pour célébrer le retour de l’artiste à Paris, après 38 années d’absence, avec la tenue d’une exposition intitulée justement Daudelin, Paris aller et retour 1946-1984. Rappelons ici que l’artiste fit un séjour de deux ans dans la capitale française au cours des années 1946-1948, pendant lesquelles, il fréquenta, notamment, les ateliers de Fernand Léger et d’Henri Laurens.
Daudelin aura attendu plus de 15 ans avant d’exposer dans une galerie montréalaise. En effet, depuis le début des années soixante-dix, il s’était tenu à l’écart des galeries. Et voilà qu’en 1987 puis, moins de deux ans plus tard en 1989, la galerie Esperanza lui ouvre ses portes et interroge le public une première fois en lui posant la question suivante: « Avez-vous vu ? », Itinéraire de l’œuvre d’un maître sculpteur (premier volet) et une seconde fois : « Avez-vous vu ? », Itinéraire de l’œuvre, 2e partie : nouveaux dessins et sculptures ? » Les visiteurs se présentent à la galerie pour voir les nouvelles œuvres de l’artiste, mais la critique se fait très discrète. Si elle a vu, elle n’a cependant ni parlé ni écrit. Ni les grands quotidiens ni les revues spécialisées ne font écho à ces expositions et ne répondent à la question posée par la galerie.
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Charles Daudelin, lors d’une conférence qu’il donne à la bibliothèque de Beaconsfield en 1987
Photo : Paul Baich
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C’est ainsi que Charles Daudelin se posera à nouveau cette question : « Avez-vous vu... que je suis encore là ? » À plusieurs moments de sa « carrière », l’homme qui doute se demandera en effet si on ne l’a pas oublié. Il sait qu’il n’est pas un artiste de galerie, que l’art public est peu couvert par les médias et qu’il n’est pas celui qui provoque des remous ni cherche le feu des projecteurs, là dans son atelier de l’ouest de l’île de Montréal. N’empêche...
Il faut retenir de cette période une autre exposition tenue dans une galerie (galerie Action, Saint-Jean-sur-Richelieu, 1989), et ce, pour deux raisons : la première parce qu’il s’agit pour ainsi dire d’une rétrospective couvrant 26 années de travail (1963-1989) du sculpteur et la seconde parce que nous connaissons, fait rare, la liste de toutes les œuvres à y avoir été exposées. D’où la possibilité donc de reconstituer en grande partie cette mini rétrospective.
Dix ans s’écouleront avant que Daudelin ne retrouve le chemin d’une galerie. Nous sommes dans la seconde moitié des années 1990, les projets d’art public et les commandes se sont multipliés depuis 1988. Nous n’avons qu’à penser aux réalisations suivantes : le trophée Les Masques pour l’Académie québécoise du théâtre (1994) ; la sculpture-fontaine environnementale pour la ville de Kirkland (1992) — qui ne sera installée cependant qu’après la mort de l’artiste en 2001 et qui sera nommée Le passage du 2 avril, une façon de rappeler la date de son décès — ; la sculpture Hors du temps pour le cimetière Mont-Royal à Outremont (1992) ; Spirale logarithmique, une œuvre de signalisation commandée par le Musée d’art de Joliette dans le cadre de son agrandissement et de la rénovation de ses salles d’exposition en 1992 ; La place moléculaire, une sculpture environnementale pour l’école Fernand-Seguin à Candiac (1991) ; Cailloudo, une fontaine pour la bibliothèque de la ville de Saint-Laurent ; Mirador, sculpture d’environnement située devant le centre d’accueil Champlain-Châteauguay (Châteauguay, 1989).
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Charles Daudelin et Malaka Ackaoui, architecte de paysage, devant la sculpture Hors du temps au cimetière Mont-Royal en 1992
Photographe inconnu
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Où Daudelin trouve-t-il cette énergie qui lui permet de se lancer dans de nouveaux projets malgré ses 75 ans et une santé de plus en plus fragile ? Jamais l’idée ne lui est venue de ralentir ses activités — ; il est heureux quand il travaille, qu’il ait les deux mains dans la matière ou qu’il soit assis à rêver de nouvelles formes pour des sculptures à venir. Où trouve-t-il l’énergie et où trouve-t-il en plus l’audace d’aller proposer à Simon Blais une exposition dans sa galerie ? Il a dû se montrer passablement convaincant puisque l’événement aura bel et bien lieu en 1998. Intitulée Charles Daudelin : l’avenir retrouvé, il regroupe des peintures, des dessins et des sculptures de 1945 à 1998. Cette exposition d’envergure rejoindra son public et entraînera la publication d’un ouvrage de plus de 100 pages aux éditions Les 400 coups.
Quelques mois auparavant paraissait un autre catalogue publié cette fois-ci par le Musée du Québec comme complément à la vaste exposition que l’institution consacrait à l’œuvre de Daudelin à la fin de 1997. Sans être à proprement parler une rétrospective, elle présente des œuvres remontant au début des années quarante et couvre cinq décennies de création.
La même année, et cherchant à profiter de l’effet médiatique autour de l’événement Daudelin au Musée du Québec, la galerie Lacerte de la côte Dinan organise une exposition des dessins que l’artiste a créés principalement au cours de la seconde moitié des années — 1990. Malheureusement, une grève des transports en commun déclarée le jour même du vernissage nuit à l’événement, qui marquait pourtant une première : une exposition essentiellement consacrée à des dessins du Daudelin sculpteur.
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Charles Daudelin en 1998
Photo : Louise Daudelin
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L’initiative devrait être reprise un jour et faire place à l’ensemble de l’œuvre sur papier de Charles Daudelin.
La dernière exposition à avoir lieu du vivant de l’artiste sera celle que le Musée du bronze d’Inverness monte à l’automne 1999. Elle sera construite autour d’œuvres créées à Paris en 1947, de bronzes inédits et de créations récentes coulées à la Fonderie d’art d’Inverness, entre autres. Charles Daudelin : du sacré au profane sera accompagnée d’un catalogue signé Michelle Joannette, alors directrice du Musée.
Le Musée des beaux-arts de Sherbrooke, quant à lui, rendra en 2003 un hommage à l’artiste décédé moins d’un an et demi plus tôt avec Daudelin, de la peinture à la sculpture. L’exposition regroupe 26 œuvres, dont la plus ancienne remonte à 1948 et la plus récente à 1999.
Dix ans plus tard, ce sera au tour du Musée national des beaux-arts du Québec de souligner d’une manière toute spéciale la contribution de Daudelin à l’histoire des arts visuels au Québec en consacrant une salle permanente à son œuvre.
L’année suivante, Granby rendra également hommage à l’un de ses illustres concitoyens à l’occasion d’une exposition tenue dans le cadre d’une campagne de financement qui va permettre à la Ville d’accueillir son premier Daudelin. Phare sera inaugurée le 31 octobre 2010 au grand bonheur de l’Association Québec-France de Haute-Yamaska qui a permis l’acquisition de cette sculpture monumentale qui fait maintenant face au lac Boivin.
* NORMAND, Anne. « Charles Daudelin, un grand sculpteur hanté par l’insécurité », La Voix de l’Est, le 21 mars 1987.
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